Le 1er décembre 2011 s’est tenu à Épinal, la conférence annuelle organisée par les acteurs du Carrefour des Pays Lorrains. Cet opérateur porte pour la Lorraine le travail et les ambitions du réseau national « Réseau Rural Français ».
ARTECA y était présent (à travers Frédéric Lapique et Julien Préau) et avait été sollicité dans le cadre des réflexions qui sont menées à l’échelle de la région sur les liens qui peuvent et doivent exister entre territoires urbains et non-urbains – le terme « ruraux » étant à la fois impropre et réducteur. Il était question de mettre en place un temps d’échange autour d’expériences de travail présentées lors de précédentes séances du Carrefour, alors que la Lorraine se trouve prise dans une dynamique éco-démographique – qu’elle n’est pas seule à affronter 1 – qui a tendance à renforcer son « épine dorsale », dont la surreprésentation semble devenir synonyme d’inquiétude pour les différents élus et les acteurs de terrain qui prenaient part aux différentes discussions. Il s’agissait donc de stimuler la réflexion sur l’articulation de territoires hétérogènes, à partir d’illustrations existantes, et notamment de « bonnes pratiques » qui pourraient circuler entre les différents échelons de l’action publique ou entre plusieurs territoires.
En dehors d’ateliers très directement liés aux rôles de producteurs économiques que ces terri-toires jouent déjà, il était également question, dès l’introduction de Daniel Gremillet, qui nous recevait, de faire tomber les caricatures auxquelles les « villages ruraux » seraient souvent réduits, quand ils le sont… Le président de la chambre d’agriculture des Vosges a ainsi égrené les questions qui étaient posées parfois frontalement dans les différentes composantes de la discussion générale : une faible mobilité des lorrains, et notamment des « cadres » et de leur famille qui rechigneraient à gagner en espace et en qualité de vie, notamment parce que l’offre des services et des loisirs ne serait pas suffisante dans ces territoires ; quelles réponses apporter à la Lorraine « rurale » qui se trouve face à cette dynamique de concentration démographique sur l’espace urbain ; comment concilier industries et industrialisation dans l’effervescence dégazée d’une révolution verte, qui aura été fiscale avant d’être viable ; et dans un contexte européen de développement des territoires, comment considérer que la régionalisation puisse simplement passer par la concentration des moyens sur les espaces urbains, sans chercher à l’appuyer sur les réserves que constituent les espaces naturels à proximité.
Autant de questions pour lesquelles une simple journée n’aura sans doute pas suffit, mais aux-quelles auront été prêtés des éléments d’appréciation divers et enrichissants. Ainsi, et en dehors des organisateurs (Jacques Florentin, président du Carrefour des Pays Lorrains [CPL] et sa directrice Cécile de Blic, Jean-Louis Roux de la Direction régionale de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt [DRAAF]), l’on aura remarqué que la composition des participants était favorablement appuyée par différents services du Conseil Régional (CR) de Lorraine : les représentants de la politique d’appui aux territoires – Paola Zanetti notamment, ou encore le chargé de mission auprès du président de région pour la politique de développement local et la prospective « Lorraine 2020 » – Claude Grivel. Étaient également présents plusieurs élus et techniciens de « petites et grandes » communes et des quatre départements de la région ou d’Alsace et de Champagne-Ardenne.
Le travail était organisé en deux temps : le matin étant celui des retours d’expérience et de la discussion, l’après-midi était consacrée aux propositions concrètes. Celles et ceux qui sont habitués aux temps d’échange proposées par l’Union Nationale des Acteurs et des structures du Développement Local (l’UNADEL, dont l’Université d’été s’est déroulée à la fin du mois de septembre à Nancy) n’auront pas été surpris que ses « militants » agissent d’une manière comparable dans le cadre du Réseau Rural en Lorraine. Ajoutons que P. Zanetti a précisé plusieurs points de la politique d’appui aux territoires (les « contrats d’appui » et/ou les « conventions d’appui ») : le fil rouge de ces deux dispositifs régionaux tenant à la solidarisation par des mécanismes de péréquation qui représenteraient « un enjeu important pour la stratégie d’aménagement du territoire, en traitant les territoires d’égal à égal ».
Il s’est agi également de porter un regard rétrospectif sur la feuille de route suivie depuis la mise en place du comité consultatif du Réseau Rural Français en 2010. Les représentants du Carrefour, avec 30 autres structures similaires, ont participé à des réunions nationales bisannuelles pour dégager des propositions fortes depuis lors, ces mêmes propositions qui structurent aujourd’hui le « livre blanc » sur le développement local qu’ils remettent aux candidats déclarés à l’élection présidentielle. Pour cette conférence donc, il s’agissait de compléter l’éventail des propositions à partir de trois ateliers :
- le premier était axé sur les relations « rural-urbain » à travers plusieurs entrées : la question centrale du projet de territoire ; une gouvernance élargie, par une meilleure prise en compte des paroles citoyennes ; le renforcement du dialogue inter-échelles à travers des formations communes sur l’action publique ; la volonté de décloisonner les politiques publiques par le soutien et l’animation d’un nouveau type de gouvernance.
- le deuxième, intitulé « lien social » a permis de mettre en avant différentes questions : comment donner une dimension participative au projet territorial ; considérer les personnes âgées comme de « vraies » ressources ; la coordination des approches dans le cadre d’une co-construction des objets politiques ; le maillage territorial des services et le rôle fédérateur de la culture pour cette aspiration à garantir leur pérennité et leur qualité.
- pour le dernier atelier, il était question du traitement des « ressources et richesses naturelles ». Le point central ici renvoyait à une préoccupation : construire les enjeux à partir des acteurs du territoire. Plusieurs propositions ont sur ce point étaient avancées comme l’évaluation en amont du lancement du projet, ou la monétisation des services environnementaux, ou bien encore la vulgarisation des instruments et la recherche d’une plus grande cohérence.
La « table ronde » de l’après-midi permettait de revenir sur les préconisations échafaudées à la suite des ateliers. Pour commencer, Cécile de Blic posait frontalement le débat : « le rural existe-t-il encore ? » entrée en matière toute choisie pour les deux enseignants-chercheurs présents (J-P. Husson et H. Marchal). Pour le premier, géographe, il y a avant toute chose plusieurs « rural » : la ville-relais, le bourg-centre et le village très excentré, et ils se trouvent face à des enjeux très différents les uns des autres. Ensuite, le « rural » existe plus que jamais avec la multiplication des problématiques foncières que les aires et unités urbaines doivent aujourd’hui affronter, et alors même que l’économie « nouvelle » a tendance, de son côté, à renforcer la polarisation urbaine. Pour le sociologue, on pourrait tout aussi bien parler de « centralités rurales » en dehors du continuum entre les centres des grandes villes et les communes de grande périphérie qui suivent une une tendance à l’indifférenciation des espaces. La reproduction donc de relations centre-périphérie à plus petite échelle, qui participerait d’une multi-polarisation du territoire régionale.
Par Julien
PREAU• 30 jan, 2012 , Publié par ARTECA
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1 Cf. rapport de l’INSEE, « Le découpage en unités urbaines de 2010. L’espace urbain augmente de 19 % en une décennie ». Insee Première n° 1364, août 2011. |
Publié le 30janvier dans Arteca : http://www.arteca.fr/ressources/?p=845