Vive le « social business » ! : Les excès révélés par la crise conduisent à imaginer des formes d'entreprise dont l'objectif serait de répondre, avec profit, aux besoins de la société
Le séisme financier de 2008 a eu aussi pour conséquence d'instruire le procès des excès du capitalisme. Tout au long de l'année écoulée, les débats se sont multipliés sur le fonctionnement du système parmi les ultralibéraux comme parmi ses plus farouches adversaires. Il est vrai que le G20 a su jouer les pompiers de service, mais il ne s'est nullement attaqué aux causes, de même que le sommet de Copenhague sur le réchauffement climatique, du 7 au 18 décembre 2009, a plus débattu du sexe des anges que de la façon de vivre mieux (ou aussi bien) en consommant moins. Tout bouge, de plus en plus vite... à l'exception de nos institutions, constate Michel Serres ( Temps des crises, Editions Le Pommier, 2009, 78 pages, 10 euros). D'où ce sentiment de désillusion qui ne cesse de gagner l'Occident vieillissant face aux conservatismes des institutions. Alors, plutôt que de désespérer, ils sont de plus en plus nombreux ceux qui préfèrent agir par eux-mêmes pour changer ce qui est en leur pouvoir de changer. Muhammad Yunus, Prix Nobel de la Paix 2006, fondateur de l'institution de microfinance Grameen Bank, a forgé l'expression « social business » pour désigner la performance économique au service de l'intérêt général. Il s'agit de développer une entreprise au fonctionnement classique, dont la finalité est aussi de résoudre une problématique sociale ou sociétale. Il ne s'agit pas d'être en opposition avec le capitalisme, mais de construire une entreprise différente, non pas dans sa forme, mais dans ses buts... L'idée n'est pas neuve. L'économie sociale, avec ses coopératives et ses mutuelles, a voulu, au XIXe siècle, réparer les dégâts sociaux de l'exode rural et de la révolution industrielle. En créant Emmaüs, l'abbé Pierre a défriché le terrain de l'entreprise d'insertion autosuffisante. Aujourd'hui, de grands groupes mondiaux se sont lancés dans la démarche du « social business ». Le plus connu est sûrement Danone, qui s'est allié avec la Grameen Bank au Bangladesh pour créer une coentreprise, Grameen Danone Foods, dont la finalité est d'apporter une alimentation saine (en l'occurrence, un yaourt) aux plus pauvres. Comme les critères occidentaux sont inapplicables, Danone a développé un « business model » différent : collecte du lait dans des petites fermes aux environs de micro-usines, avec un processus de production simplifié. Les yaourts sont commercialisés à 0,06 euro en porte-à-porte par les « grameen ladies » rémunérées à la commission. Essilor, pour sa part, observant que plusieurs centaines de millions d'Indiens avaient besoin de lunettes qu'ils ne pouvaient pas acheter, a développé une chaîne de production à très bas coût, un système de distribution par camionnettes et un argumentaire adapté. L'entreprise semble être un succès si l'on en croit l'envie suscitée auprès d'autres partenaires, qui souhaitent soutenir l'opération. Ces initiatives originales bousculent les schémas de pensée traditionnels, mais sont en revanche très porteuses d'innovations. Un des objectifs du « social business » est de trouver des solutions innovantes à des problèmes sociaux. Ashoka, association créée en 1980 en Inde par un Américain, Bill Drayton, ancien consultant du cabinet de conseil McKinsey, la fondation Schwab créée par le fondateur du Forum de Davos, ou l'Agence de valorisation des initiatives socio-économiques (Avise) créée en France et présidée par Hugues Sibille, sont là pour détecter, valider et appuyer - voire accompagner - ces entreprises qui doivent, par leurs revenus, couvrir les coûts de leur activité pour atteindre le point mort qui assure sa pérennité. Ashoka France appuie ainsi 25 projets, dont Siel Bleu, dont l'objet est de prévenir la dépendance et l'exclusion des seniors par une pratique sportive adaptée. Jean-Michel Ricard, son fondateur, a étendu ses activités aux salariés d'entreprises et limite ainsi l'accidentalité, tout en lui permettant de financer son programme seniors. Autre exemple, le groupe SOS, créé par Jean-Marc Borello, est devenu une galaxie employant plus de 2 500 personnes dans les champs du sanitaire et du social : éducation, insertion, logement, développement durable. « L'entrepreneuriat est possible dans le public et dans le privé. Mais dans le social, il reste encore la «Belle au bois dormant» », constate M. Borello, ancien éducateur de rue, devenu haut fonctionnaire puis chef d'entreprise ( SOS contre toute attente, entretien avec Jean-Marc Borello, Editions Rue de l'échiquier, collection « Conversations solidaires », 2009). Le mouvement des entrepreneurs sociaux prend de l'ampleur à travers le monde. La crise a révélé une demande de sens chez les salariés. Les grandes écoles de commerce et de management l'ont bien compris en inscrivant le « social business » dans leurs cursus. Reste à définir un statut pour ces entreprises. Il existe, notamment en Grande-Bretagne. Il y a urgence à le construire en France parce que cela permettrait d'encourager l'entrepreneuriat social, estime l'avocat d'affaires Daniel Hurstel dans son ouvrage La Nouvelle Economie sociale. Pour réformer le capitalisme (éditions Odile Jacob, 2009, 216 pages, 21,85 euros). Le besoin de construire un capitalisme plus soucieux de l'homme et de son environnement n'est plus à justifier. La piste du « social business » est là et bien là, en passe de prendre le relais ! Dominique Dambert et Didier Adès « Rue des entrepreneurs », France Inter
Article paru dans l'édition du
12.01.10
pour résumer, c'est toujours intéressant d'écouter "Rue de
entrepreneurs" sur France Inter, et de lire le Monde …
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